On passe à autre chose – Roland Jean Fichet
ouverture
Le hall d’un théâtre. Une foule bruyante y déambule. Des écrans de télévision sur les côtés. Sur ces écrans on peut voir des ouvriers qui décrochent des photographies de spectacles dans les couloirs et dans le foyer.
VOIX DU DIRECTEUR. – Depuis 1884, on peut lire sur le fronton de cet édifice ce mot : THEÂTRE. Ce lieu a un passé, nous voulons lui donner un avenir. Ultime spectacle-performance avant le changement de nom. Dès demain un nouveau nom réveillera la façade de ce joyau de notre patrimoine architectural : BONJOUR SANTÉ.
UNE VOIX DE PRÉSENTATRICE DE SHOW. – Théâtre à l’italienne du XIXème siècle, le théâtre de notre cité est typique : soixante-dix fauteuils revêtus de velours rouge au parterre, des balcons circulaires sur deux niveaux, des loges au-dessus des balcons, un paradis dans le ciel du théâtre.
Points de vue
Bonjour Roland,
J’ai beaucoup ri en lisant On passe à autre chose. C’est intéressant cette vision que la littérature et le théâtre devront céder la place au care, déployé en toutes sortes de thérapies. Ça ne me serait pas venu à l’esprit, mais à la réflexion, je trouve qu’il y a quelque chose de juste dans ce futur fait de repli sur soi : guérir l’Humain de ses failles, c’est bien une des tentations contemporaines. J’ai d’ailleurs un sentiment mitigé à l’égard de l’anthroposophie de Steiner à cause de ça : comme c’est totalisant comme pensée, que ça se déploie sur tous les plans de l’expérience humaine, du cosmique au microscopique, ça peut vite tourner à la résolution de tous les problèmes humains par une thérapie globalisante. Alors que l’Humain est fait de failles, de déséquilibres…
C’est intéressant ce que tu soulèves aussi parce qu’on chasse l’art mais il revient sous forme d’arthérapie, de fiction-thérapie et même de dark-thérapie. Impossible de se défaire de l’élan artistique qui est le contraire de la résolution.
Ça doit être jouissif pour un metteur en scène de s’atteler à ton texte comme une farce grinçante, dans la veine de Jarry. Des images et des sourires me venaient en le lisant rythmées par les « Et poc!»
1 – Olivier – Les Crétois disent que leurs oliviers vivent plus de 2000 ans, protégés par des sentinelles courageuses mais vulnérables. L’une d’entre elles, selon Ovide, fut condamnée à répéter les mots qu’elle entendait sans jamais parler la première : Echo. Mais quand les hommes s’en prennent aux arbres, les nymphes en appellent aux dieux et « la terre tressaille d’un souffle prophétique ».(1) On n’abat pas sans conséquence les totems bruissants du monde.
2 – Brin d’olivier – Pour qui danse-t-elle, Olivia, avec son arche miniature, seule face au « trou de mémoire » ? (2)Dance me to your beauty with a burning violin
Dance me through the panic ‘till I’m gathered safely in
Lift me like an olive branch and be my homeward dove. (3)
Elle danse pour « une assemblée parallèle », quelque part sur le rivage où l’attend une certaine accordéoniste, entourée d’ hommes et de femmes en tenue de « cérémonie » (4). Plus loin encore, elle danse pour une sœur en littérature, pour d’autres hommes et femmes qui scandent à leur tour cette question : « Quelle est la meilleure chose qu’un humain puisse faire pour le monde de demain ? » (5)
3 – Noyau d’olive – Olivia signifie olive. Avec son noyau. Autant dire une plaie dans la bouche. Il n’y a que les écrivains pour en apprécier la densité âpre. Chaque matin, Erri De Luca traduit les écritures bibliques ; non croyant, il entre en terre étrangère car depuis « Babel » – quelle chance ! –la langue unique n’existe plus .
« Le corps doit participer, souffle et lèvres du moins, accompagnant le voyage des paroles antiques, se faisant leur porteur. » Le reste du jour, dit-il, « j’ai retenu pour moi un acompte de mots durs, un noyau d’olive à retourner dans ma bouche ». (6) Elle est comme lui, Olivia , porteuse d’écrivains dans son sac à dos, « sa voix aime les mots qu’elle prononce ». (7)
(1) Les Chimères – Gérard de Nerval
(2) 1984 – Georges Orwell
(3) Dance me to the end of love – Léonard Cohen
(4) Or comme ordure – Frédéric Ciriez
(5) L’Arbre-monde – Richard Powers
(6) Noyau d’Olive – Erri De Luca
(7) On passe à autre chose – Roland Jean Fichet
Toutes les traditions nous l’apprennent : pour imaginer, symboliser les périodes marquées par des chaos – donc de l’opportunité d’un changement d’ordre, d’une métamorphose possible – on représente un monstre.
Un monstre souterrain ( ici sous la scène), comme lieu de l’invisible, du primaire, de l’inconscient avec une bouche dentue, dévorante, carnassière, cannibale, ( figure du Moloch, du minotaure, de Chronos, de l’ogre).
Le monstre est un condensateur de la violence ( bouc émissaire, fou désigné, mal incarné ) qui, comme tel, permet de maintenir la cohésion minimale du groupe, de l’ordre social par la même peur du même monstre.
Affronter le monstre c’est faire un choix qui engage l’avenir.
Soit on continue de remplir sa bouche avec des sacrifiés pour maintenir l’ordre en relatif équilibre. Soit on fait appel à un novateur (figure du héros) qui, éliminant le monstre, ouvre un nouvel ordre, un nouvel équilibre.
Ordre et désordre, chaos et métamorphose. Les deux pôles font la dynamique dans leur opposition : la broyeuse est ce qui détruit quelque chose de la scène passée, mais c’est en même temps la matrice qui recycle et offre le matériau des premières scènes : la sciure ( cirque équestre, aire de lutte…)
« Sans les mots, il n’y a rien. »
Olivia qui reprend les mots de Nathalie Sarraute, me semble le personnage pivot de cette histoire. Pivot, par son ambivalence même, son aspect tournant :
Elle est metteure en scène, un des métiers de l’univers de la représentation, du théâtre ( du travail sur les planches, ces planches qu’on est en train de recycler en sciure).
Dans le même temps, cette femme est associée à l’adversaire déclaré, à l’exécuteur de la sentence de mort du théâtre : la figure de la médecine.
Olivia est le personnage qui a le plus grand angle de vue sur cette cérémonie sacrificielle. Elle pivote, c’est le personnage médium, c’est à travers elle que passent les enjeux et les messages. C’est une femme, elle échappe donc à la dépouille du vieil homme, du vieil auteur patriarcal, qui a fait son temps.
Elle est partie prenante de cette subversion mais dans le même temps elle observe le mal être, la maladie même de l’exécuteur : il sue, prend froid, avale fébrilement des cachets ( la médecine flanche au fur et à mesure de la cérémonie ). Elle ponctue, se fait porte parole de l’enjeu principal du conflit, le sens : Sans les mots, il n’y a rien.
Elle se démarque de l’enjeu narcissique : elle fait pivoter la caméra sur le visage de l’intéressé : le directeur.
Elle conclut la métamorphose attendue de l’art en général, du théâtre en particulier par une formule d’ouverture et d’avenir « au revoir ».
Quelle part de vérité porte donc cette femme pivot ? Elle dit que c’est le jeu du pivot entre la mort et la vie qui permet transformation et métamorphose.
Elle dit que pour passer d’une forme passée à une forme nouvelle, il faut que ce qui est mort soit signifié et signé ( c’est bien à la figure du médecin – légiste – que revient cette tâche).
Elle manifeste que la broyeuse n’est pas le trou béant de l’anéantissement : elle prend les traces, les contenants – mémoire / urnes – dans ses bras, pour les entraîner dans le plus beau des mouvements vivants, la danse. La danse est une représentation de la lutte entre les forces contraires.
» Le soin est notre nouvel horizon, l’art d’aujourd’hui s’auréole d’un concept lumineux, le care. »
Dans le texte, il y a deux protagonistes : la médecine et le théâtre ( l’art ). Le premier veut la mise à mort, théâtralisée, sacrificielle, punitive de l’autre. Mais la charge projective, la condamnation est tellement excessive qu’elle en devient suspecte et qu’elle cache mal, un ou des aveux. Aveu, par exemple d’un même échec, d’une même impasse, d’une même dérive : « La performance » est bien l’un des symptômes majeurs de notre société, à travers le vecteur de la technologie en particulier. Comme le sport ou l’armement, la médecine court à la performance, et l’art aussi ( voir les spectacles et/ou événements rebaptisés « performance » ). Or la performance est l’excès qui rend impossible la transformation véritable. L’exploit n’est pas la métamorphose.
La médecine étale sur scène sa part d’échec. Elle n’est pas, ne sera jamais l’utopie unifiante, scientiste, qui supprime l’angoisse, le sentiment tragique de la finitude, du manque. Elle donne lieu à une dérive éloquente : l’explosion en petits morceaux. Tout est « thérapie », tous sont « thérapeutes ». La médecine n’a pas surmonté la scission cartésienne entre corps et psychisme. Elle est donc alors tentée, obligée, de repenser la notion de soin.
Ne peut-on penser alors, que derrière la vigueur de sa condamnation de l’art, du théâtre, se cache en fait un appel ?
Le soin, en effet, ne peut être seulement le geste-pansement, aussi performant soit-il. Il demande aussi le geste-pensée, le mot-pensée, la représentation. ( Il y aurait beaucoup à dire aujourd’hui sur des faits apparemment anecdotiques, comme l’introduction des clowns dans les services hospitaliers).
Rappelons que théâtre, médecine et religion ont parties liées à l’origine ; l’homme médecine, le chaman, participe aux soins individuels et collectifs, par de la représentation, de l’interprétation, de la proposition de sens.
Le soin ne peut se réduire à un geste de réparation du corps, il attend aussi projet, espérance, perspective, avenir jouable.
Et si la médecine et l’art, au lieu de se poser, posturer comme usurpateurs l’un de l’autre, pouvaient envisager de jouer du côté de la réconciliation ?
Nous avons lu Eden de Waddah Saab et On passe à autre chose de Roland Jean Fichet. Deux titres dont chacun pourrait être le sous-titre de l’autre. Sauf que. Il y a bien dans Eden la recherche d’autre chose – en mieux – et pourtant Eden rime avec peine. Peine perdue. D’une prison l’autre. Tandis qu’On passe à autre chose rime avec métamorphose. Pas la métamorphose ovidienne – bien que joyeuse -, mais un changement radical dicté par de bonnes intentions. Gide avait beau jeu de dire qu’on ne fait pas de la bonne littérature avec de bons sentiments, mais si on met la littérature au pilon, et qu’on la remplace par la médecine, qui ne peut être que bonne, elle qui prétend guérir dans le même mouvement les corps et les âmes, {…} nos navettes spatiales vers l’harmonie universelle {qui} nous libèreront de l’épouvante, alors là … Si ce n’est pas de la catharsis, ça ! Respirer ensemble cette cruauté, quel bonheur ! Plus de doute, catharsis. Rituel d’explulsion ? Catharsis. Rituel de purification ? Catharsis. Auteurs-pharmakoi sacrifiés sur l’autel de la santé pour tous ? Catharsis catharsis catharsis !
Petite parenthèse cathartique
(Aristote était fils de médecin, et la catharsis un drôle de remède, un pharmakon qui a nourri bien des controverses, un malentendu autorisé par le caractère elliptique du passage que lui consacre La Poétique et renouvelé au gré des actualisations. Comme les chats tigrés, la catharsis porte un M sur le front, M comme mystère, musique, morale, métaphore, médication, voire métaphysique… Dionysiaque, elle purifie l’âme, apollinienne, elle épure nos passions, freudienne, elle les sublime et nous guérit, et par le spectacle de la violence, elle serait la gardienne des vertus civiques. Passons. Et upgradons, upgradons ! Dans un article publié en 2011 dans la revue Etudes théâtrales, Catherine Naugrette rappelait qu’au chapitre 18 de La Poétique Aristote désigne la tragédie comme le lieu où le poète « éveille le sens de l’humain » et que, par l’ampleur de l’expérience esthétique qu’elle représente, tant sur le plan de sa dimension émotionnelle qu’en ce qui concerne sa capacité cognitive, la catharsis apparaît en effet et à tous égards chez Aristote comme la forme optimale de l’expérience du spectateur, la seule qui lui permet de retrouver le sens de l’humain. Partant de là on peut redéfinir l’identification (mimesis > identification > catharsis) : on ne s’identifie pas, on identifie les êtres et les choses, et on les re-connaît, pour une meilleure compréhension du monde. La réflexion de Catherine Naugrette porte sur l’expérience cathartique contemporaine. Celle-ci aurait un nouveau matériau agissant, l’indignation, qui, en même temps que la frayeur et que la compassion, confère aux émotions du spectateur une dimension nouvelle, qui mène à la question politique de la refondation de la cité en même temps qu’au retour du sens et de l’appartenance à l’humanité.1 Passionnant. Fermons la parenthèse.)
Et revenons aux recherches de pureté et d’épuration à l’œuvre dans nos deux textes.
Conditionnement déconditionnement reconditionnement.
À quel prix ?
Eden est le récit d’une entreprise vouée au retour du même et à l’échec. Quand les personnages ne sont plus assez attentionnés envers les autres, leur projet s’effondre. Mise en garde. Be care, be careful, take care of others, of yourself, of the world.
Speaking of care, On passe à autre chose rend visibles les fantasmes d’une médecine spectacle relayée par les médias, et prenant place avec une aisance confondante dans des théâtres où il n’y a plus rien à voir. Circulez. Des théâtres qui deviennent temples. Le premier sens de θεραπεία, c’est culte des dieux, religion. Opium du peuple. Plus de maîtres à penser, à rêver, plus de dialogue avec les morts, bonjour santé, vive la vie !
Une première mise en abîme, en tant que texte prospectif, m’apparaît, tandis qu’un autre Jean se retourne dans sa tombe en voyant que son présent est notre futur. Presque tous les hommes meurent de leurs remèdes et non pas de leurs maladies, fait dire Jean-Baptiste à Béralde (qui lui-même le dit à Argan). Dépakine, Médiator, Paxil, Vioxx, Tamiflu, Opioïdes, jeux télévisés, travailler-plus-pour-gagner-plus, généralisations, bien-pensances décomplexées, visions-à-court-terme, pesticides, consultings abusifs, dérives liberticides empoisonnent corps, consciences et société pour mieux les soigner.
Seconde mise en abîme, celle d’une double catharsis : les spectateurs d’On passe à autre chose éprouvent une satisfaction morale à voir détruire la littérature – violence institutionnelle et adhésion en live – et à se voir proposer le Soin, avec des slogans tels que « choisissez le bonheur », promesse d’une sorte d’ataraxie en pleine santé ; quant aux lecteurs de la pièce, passé le plaisir esthétique d’assister, amusés, à la représentation farcesque de cette même violence, ils sont vite frappés d’indignation – et d’horreur – face à la perspective d’une société libricide, littératuricide (pardon pour ce néologisme aussi difficile à prononcer qu’à concevoir, et pourtant…) qui préfère donner à panser plutôt qu’à… penser.
Faut-il le rappeler ? Le pharmakos de l’archaïque rituel est un innocent sacrifié en expiation des fautes d’un autre, pour chasser le mal et purifier la société. Il est à la fois poison, remède, et victime. Concernant les poètes qui n’ont rien d’innocent – et heureusement ! – la signification de malfaiteur, sens que le mot avait pris à l’époque classique, semble également appropriée. Le poète est un trouble-fête, une menace pour l’ordre public qu’il convient d’empêcher de nuire et qu’il est des plus divertissant de vouer aux gémonies.
Double catharsis, donc : l’une qui épure le trouble sans passer par la représentation, l’autre qui, par ce qu’elle représente d’un « futur-rendu-présent tourné vers le pas encore »2 peu engageant – et qui fout carrément la trouille, en réactive le besoin, voire la nécessité.
On ne veut pas être troublé, fait dire Roland Jean à son didascalique narrateur. Or quoi de plus troublant que les histoires, les questionnements, les mythes – ces mensonges qui accouchent des vérités -, les langues inouïes ?
Il nous met en garde, telle est ma lecture. Be care, be careful, take care of poets, authors, theater, literature, of yourself, of the world, it’s the same. Prenez soin de la littérature, qui est la preuve, dit Pessoa, que la vie ne suffit pas. D’ailleurs Olivia se trouble, Olivia murmure, Olivia danse, Olivia résiste ! Et il y a dans la danse de la metteure en scène la promesse, sinon d’une rédemption, du moins d’une inflexion salutaire.
En pleine conscience.
Vous reprendrez bien un peu de catharsis ? Santé !
Sinon… Sinon quoi ?!
Où vont tous ces enfants dont pas un seul ne rit ?
Paul, le fondateur de la communauté imaginée par Waddah Saab, est converti à la permaculture ; c’est son credo, son Graal. La permaculure comme une façon de prendre soin de la terre, et, par extension, des êtres qui en vivent, bactéries parmi les bactéries.
En les rendant autonomes. Exactement comme la permathérapie, méthode de soin qui n’est pas nommée dans le texte de Roland Fichet, mais qui recouvre en quelque sorte la longue distribution des thérapeutes sur la scène du nouveau théâtre. En effet, c’est précisément, lis-je sur internet, une méthode de soin qui va chercher les solutions un peu partout pour permettre à chacun d’être autonome dans le domaine de la santé. Qui plus est, une méthode systémique et globale de santé. Du solide, tel le plancher rationnel de la permaculture prôné par Paul le converti. Avec l’objectif à long terme, comme dans Eden, de se détacher progressivement des systèmes industriels, causes de la dégradation des écosystèmes, en utilisant les plantes. Rêverie d’illuminés (mascarade dénoncée par Matthew) ou véritable utopie ? Effet d’affichage d’une dystopie qui avance masquée (scène de Bonjour Santé) ou lumière au bout du tunnel ?
Nos deux fictions ouvrent donc sur la permathérapie. Mais on se doute dans Eden que les Nina auront recours à la médecine moléculaire au premier bobo sérieux, tandis que les Debby s’en remettront au cosmos. Crédible, et tellement conforme au présent. Le futur dont nous rêvons – ou que nous redoutons – se manifeste déjà.
D’un côté le patient augmenté adepte de l’automédication au nom du retour au naturel et d’une vision de la vie comme ZAD, de l’autre les progrès fulgurants des sciences du vivant, avec notamment les promesses de la médecine régénérative, des nanomédicaments et de la microfluidique. Médecine de pauvres, médecine de riches ? Médecine holistique versus médecine moléculaire ? Fracture numérique irréversible ?
Dans une société qui maltraite les gens, les empoisonne, puis met en place des politiques de santé publique pour réparer, dans un monde où le mal du siècle a laissé la place aux maladies de la civilisation – diabète, asthme, ostéoporose, maladies cardiovasculaires , dépression, nous serons bientôt tous allergiques (40% de la population en 2030).
Ça en fait des mouchoirs ! C’est bon, ça, pour Kleenex, Lotus, et cie … Greenpeace sera-t-elle encore assez puissante pour empêcher les producteurs de mouchoirs jetables de continuer à détruire les forêts boréales du Grand Nord ? Et si le mouchoir en tissu refait son apparition en force, quid des futures endémies, épidémies et pandémies microbiennes ?
Tous malades en puissance ; alors que le docteur Knock possédait l’art de rendre souffrants les bien-portants, l’humanité future, qui se saura malade, devra cultiver l’art de prendre bien les choses, d’adopter les bons comportements qu’exige{ra} l’époque, sans tomber sous l’autorité rassurante d’un unique généraliste, numerus clausus ou apertus.
Grâce à la permathérapie et aux approches holistiques, les professionnels du soin irrigueront tous les domaines de la société.
Ainsi les thérapeutes en folie d’On passe à autre chose vont-ils se faire récupérer par Netflix et devenir les héros de nouvelles séries dont les spectateurs malades ou bien portants, en tout cas très bien renseignés – raffoleront. Parallèlement au prix Nobel de Médecine, une catégorie leur sera réservée dans les Festivals de cinéma : meilleure série médicale, meilleur acteur ou meilleure actrice dans une série médicale, meilleur rapport fiction-réalité, documents à l’appui (morts ou guérisons ; exit les catégories tragédie et comédie, au cinéma il n’y a que des comédies dramatiques). A défaut de figurer dans la classification des arts majeurs, la médecine fera son entrée dans le 7ème par le portail des séries. Bientôt les Oscars, un siècle ou deux après Jivago. Reversera-t-elle ses dividendes à Greenpeace ?
Consacrés par la communauté, les soignants seront les nouveaux virus.
Après les théâtres et les cinémas, il investiront les églises, mosquées, temples et synagogues suite à la réunification de l’église et de la médecine, le musée du Louvre leur réservera une salle des antiquités médicales, la Sorbonne ouvrira un département des connaissances médicales des mondes gréco-arabe, indien, persan, oriental passées et présentes débouchant sur le prestigieux doctorat de permathérapie, le Futuroscope présentera des films en 3D dont l’action se situera à l’intérieur de cellules de corps vivants avec menace d’extinction de l’espèce et batailles de nanobactéries acompagnées de sons diégétiques horrifiques, un Conservatoire National des Traitements Personnalisés grâce au recoupement de données sera ouvert au grand public à condition qu’il renonce au secret médical (tous pucés !), le Musée de l’Homme bordant le Jardin des Plantes sera rebaptisé Musée du Soin, des DD – distributeurs de diagnostics – implantés sur tout le territoire – et en particulier dans les anciens déserts médicaux, permettront d’être soigné en distanciel pour les nostalgiques du premier confinement ou pour ceux qui ne pourraient pas faire autrement et le recours à l’intelligence articifielle low-cost mettra tout le monde d’accord. Enfin des élections médicales au suffrage universel donnant lieu à des débats passionnés et passionnants et à des discours fleuris de rhétorique médicinale avec recours obligé à la terreur et à la pitié fixeront les grandes tendances thérapeutiques dans des plans triennaux. Le soin sera l’alpha et l’oméga, pour vivre comme pour mourir.
(1) Une nouvelle dimension du cathartique, C. Naugrette, in Études théâtrales n°51-52
(2) Expression empruntée à Paul Ricoeur, in Temps et récit, 1983-85
Roland Jean Fichet
Écrire comme on fait des ricochets sur l’étang de l‘enfance : Suzanne (1990), Colloques de bébés (1993), La prière des vaches (1996), Fenêtres et fantômes (2006), D‘où? comédie géographique (2007).
S‘arracher à la sauvagerie archaïque : De la paille pour mémoire (1983), Famille Huron (1997).
Répondre à l’appel de la langue : La chute de l’ange rebelle (1989). Animal (2004)
Traverser les frontières : Terres promises (1988), Animal (2004), Voix au bord du fleuve Congo (2006)
Parler d’une voix douce aux morts : Tombeau chinois (1998), Devant la mort je bande (2010), Qu’elle ne meure (2015).
Cheminer en Afrique : Anatomies 2008 et 2009, Comment toucher (2009).
Tenter de donner figure à l’amour poursuivant sa course folle : Quoi l’amour (1997), Le goût du sexe ( 2008), Ne t’endors pas (2004), Je te veux (2002) .
Jouer avec les instances canoniques de la pièce de théâtre : toutes les pièces. Partager le plaisir d’écrire : Écoles de théâtre de Strasbourg, Rennes, Saint-Étienne, Montpellier, Besançon, Charleville-Mézières, Tunis…
Regarder les metteurs en scène déplier mes pièces et les déployer : Julie Brochen, Robert Cantarella, Frédéric Fisbach, Gianni Grégory Fornet et Régine Chopinot, Charline Grand, Adel Hakim, Renaud Herbin, Joachim Johanssen, Philippe Lanton, René Loyon, Annie Lucas, Julika Meyer, Gildas Milin, Stanislas Nordey, Claudia Stavisky, Gerhard Willert…
Être bouleversé par les actrices et les acteurs. Glisser du théâtre au roman.